Que penser du 9e dictionnaire de l'Académie française ?

Le quatrième et dernier tome du neuvième dictionnaire de l’Académie française a été achevé ce mercredi 13 novembre 2024, marquant la fin d’un projet commencé il y a près de 40 ans.

La dernière édition remontait à 1935, soit presque un siècle plus tôt, un laps de temps durant lequel la langue française a considérablement évolué. Pourtant, malgré son apparent prestige, cette nouvelle version soulève plusieurs critiques.

Institut de France

1. Un dictionnaire incomplet

Bien que cette neuvième édition couvre 53 000 entrées, elle reste loin des standards actuels. À titre de comparaison, le Grand Robert en ligne en compte 150 000 et le Wiktionnaire 400 000.

Le premier volume, allant de A à Enzyme, est sorti en 1992. Cela signifie que des évolutions importantes survenues dans la langue française depuis, comme l’apparition de nouveaux mots ou de nouvelles définitions, en sont absentes.

Comme l’a repéré la linguiste Laélia Véron sur son compte Instagram (@laelia_ve), certaines définitions sont totalement déconnectées de l’usage courant :

  • L’adjectif « stylé » est défini ainsi : « Se dit d’un employé de maison, d’hôtel, etc. qui accomplit ses tâches en se conformant parfaitement aux règles de sa profession, aux meilleurs usages. Le personnel de cette maison est stylé. Un serveur très stylé. » Le sens le plus courant, que l’on peut trouver par exemple dans Le Robert, « Qui a du style, de l’allure » n’apparait nulle part.
  • Le nom commun « mail » est réduit aux sens suivants : 1. « Petite masse cylindrique de bois, fixée à un long manche » ; 2. « Promenade publique spacieuse et généralement plantée d’arbres » ; 3. « Gros marteau ». Son emploi actuel dans le numérique, le plus courant, n’est pas mentionné.

Le Dictionnaire de l’Académie française, à cause de sa lenteur de publication et de ses choix éloignés des usages contemporains, est donc obsolète dès sa sortie, créant un contraste frappant avec les mises à jour annuelles des dictionnaires comme Le Robert, Hachette ou Larousse.

2. Un dictionnaire conservateur

Les choix lexicaux et les définitions proposées par l’Académie sont loin d’être neutres. Par exemple, l’absence de certains mots usuels comme « féminicide » ou « smartphone » pose question. Leur exclusion semble dénier leur légitimité et invisibiliser des réalités sociales ou des évolutions technologiques majeures.

Certaines définitions font également polémique, comme celle de l’adjectif « hétérosexuel, -elle » : « Relatif à la sexualité naturelle entre personnes de sexe différent ». Ce choix sémantique semble sous-entendre que toute autre sexualité serait « contre nature », une posture réactionnaire et homophobe.

Ces exemples montrent comment les orientations de l’Académie peuvent perpétuer des biais en refusant de refléter l’évolution de la société.

3. Où sont les linguistes ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas de linguiste qui siège à l’Académie française. Seule Barbara Cassin est philologue et spécialiste de philosophie grecque.

Dans son discours officiel, Emmanuel Macron confond compétences esthétiques et scientifiques : « Ceux qui définissent la langue ne sont pas forcément des linguistes mais aussi des écrivains. Ils en ont le goût, l’usage. »

On peut très bien manier la langue avec finesse et virtuosité sans rien connaitre à la phonétique historique, à la lexicologie, à la sociolinguistique, etc. La linguistique est la science du langage qui observe le fonctionnement et l’évolution de la langue à travers une approche descriptive sans jugement esthétique.

Ainsi, nous conclurons avec le Collectif des linguistes atterréEs qui a publié une tribune dans Libération : « Le travail actuel de l’Académie à ce dictionnaire n’a plus de sens, tant sur le plan économique que scientifique. Les académiciens n’ont pas les compétences techniques et scientifiques. »

En savoir plus sur les dictionnaires : « Les dictionnaires ont-ils toujours raison ? »

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